De la visite à St-Dominique
Souvenir de classe du Conservatoire de musique de Saguenay
Reconnaissez-vous certains de ces élèves?
(Réponses au bas de cette page *)
Chers(es) amis(es) de l’orgue et de la musique,
Je voudrais rendre hommage à ce grand musicien et pédagogue que fut CLAUDE LAVOIE. Le hasard de la vie a voulu que nous naissions dans la même rue à Rivière-du-Loup, la rue du Rocher, chacun habitant aux deux extrémités de la rue. Mon père organiste nous avait parlé à maintes reprises de l’exceptionnel talent de Claude. Bien des légendes subsistaient dans la ville à son sujet. Ce n’est qu’à l’âge de 19 ans que j’eus l’occasion de rencontrer pour la première fois Claude Lavoie.
Mon admission au Conservatoire de Québec nous a donné l’occasion de travailler intensivement durant 8 ans. Les grandes qualités que j’ai appréciées chez lui, ce fut d’être un noble et véritable artiste doté d’un talent de pédagogue tout à fait naturel. Sa pédagogie était simple, claire et méthodique comme celle de toujours écrire de bons doigtés et des phrasés recherchés pour aider la compréhension et l’interprétation des œuvres. Bien d’autres moyens s’inscrivent dans la démarche de l’enseignement de Claude au Conservatoire. À partir 1960, s’inscrivent dans la mouvance de ces années de transformation de l’esthétique de l’orgue, bien des réformes auxquelles adhèrent Claude Lavoie. On oublie le parfait legato enseigné depuis des décennies pour opter par exemple, pour un toucher plus détaché, plus soucieux d’articuler la musique, de trouver le « bon accent », de clarifier l’audition de la musique. Le même phénomène est fort palpable dans la nouvelle facture, plus aigue, plus brillante où mixtures, fournitures et anches proposent des couleurs révolutionnaires parfois. Claude Lavoie s’inscrit dans cette nouvelle esthétique que l’ancienne école ne prise pas beaucoup. Il amène à Québec un vent de fraîcheur : comme l’installation des grandes orgues de l’église des Saints-Martyrs-Canadiens, néo-classiques avec ses sonorités franches, ses anches colorées, ses fournitures aiguës et brillantes. Dans le même ordre de pensée, Claude fait connaître aussi aux mélomanes un répertoire plus moderne. Je me rappelle de l’Incantation pour un jour saint de Jean Langlais qui m’avait beaucoup impressionné et que Claude jouait si bien - , La Berceuse de la Suite bretonne de Marcel Dupré, des œuvres de Litaize et aussi de ses propres compositions. Toutes ces actions faisaient de lui un musicien tout à fait épanoui et inspirant.
CLAUDE LAVOIE avait gardé cette simplicité qu’ont les grands artistes et ces artisans habiles qui travaillent près de la matière. Il a su donner à la majorité de ses élèves l’amour de l’orgue, un amour assez convainquant pour que la plupart de ses élèves continuent à pratiquer brillamment et solidement le métier d’organiste.
Claude savait développer chez ses élèves le goût d’apprendre et la confiance en soi. Lui-même nous rappelait le doute intelligent que chacun doit acquérir pour pouvoir maintenir une progression constante et se poser de justes questions sur son comportement d’artiste.
Le doute peut s’avérer être parfois un élément pédagogique fort motivant. L’élève d’un certain niveau qui voit son professeur douter ou hésiter, peut sans doute commencer à se poser des questions. Mais cela peut s’avérer être aussi un outil pédagogique puissant pour inciter l’élève à s’investir, à se poser des questions et aussi à prendre confiance en lui. Les doutes de Claude, nous donnaient l’impression que nous aussi, nous avions la possibilité de réfléchir et de prendre des décisions comme « artistes-créateurs ».
Il y a parfois des professeurs qui défendent avant tout leur réputation d’enseignant – l’élève étant souvent un otage, malléable à souhait et qui doit exécuter à la lettre les consignes de son professeur. Leur réputation en dépend. Comme professeur, Claude a toujours su maintenir un bon équilibre entre la rigueur et la liberté à laisser au musicien « en devenir ». Claude défendait, bien sûr, la qualité et le bon goût pour la musique, tout en ne détruisant pas l’individu. Il essayait plutôt d’exalter le potentiel de chacun et de chacune.
Nerveux, souvent anxieux à la venue d’un récital, Claude jouait brillamment de l’orgue. Combien de fois nous nous sommes retrouvés autour de l’orgue (avec d’autres élèves ou des amis) pour entendre jouer notre cher professeur, librement, sans contrainte lequel, en passant, savait de mémoire de nombreuses œuvres. C’est dans ces moments privilégiés que l’on prenait conscience que cet homme était doué d’une façon exceptionnelle pour faire la musique. Il avait en lui cet instinct d’interprète, celui du « performer » qui aime jouer et pour lui et pour les autres.
Il faut que je vous raconte quelques petits faits d’histoire qui puissent nous permettre de bien cerner l’homme.
Je me souviens de ces premières auditions de Cantates de Bach avec mon cousin Jacques, également élève de sa classe, un verre de gros gin à la main, sur la rue St-Louis dans son appartement « style vieux Québec » avec vue sur les toits. Nous découvrions avec lui un plaisir tellement fort : celui d’écouter de nouvelles musiques. Je me rappelle la voix du haut-contre Alfred Deller, une grande nouveauté à l’époque qui nous étonna franchement, et puis des chansons de Jannequin, de la musique nouvelle d’orgue de Langlais, de Litaize, de Messiaen… (qu’il n’aimait pas particulièrement), des enregistrement d’orgues de théâtres américains où il nous faisait remarquer l’habileté de ces « organistes profanes ».
Claude, il faut bien le dire, avait gardé un côté « bon-enfant » … particulièrement lorsqu’il connaissait ses élèves depuis un certain nombre d’années. Parfois on s’amusait à se faire des petits coups « presque pendables » comme attachés les lacets de ses chaussures ou les boutons de son manteau ou déplacer ses gants ou son chapeau… on le savait très distrait… – ajoutons que lui aussi parfois s’y mettait joyeusement. Tout ceci contribuait à le rendre extrêmement sympathique et attachant.
Je dois ajouter que cette église des Saints-Martyrs nous rappelle tant de souvenirs avec lui, des émotions fortes, des moments de vie exaltants même si parfois le plein succès n’était pas toujours au rendez-vous. Le privilège que l’on avait de pouvoir toucher les grandes orgues des Sts-Martyrs… « Oua! »… C’était quelque chose. C’était la Cadillac des orgues à Québec…
J’admire ces concurrents d’aujourd’hui – Ils ont sûrement beaucoup travaillé pour pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes et le stress…oui le STRESS à vivre dans de pareils moments!... C’est parfois énorme à gérer mais il faut risquer dans la vie… La vie est un grand risque… On n’en meurt tous!
Pour terminer, en faisant le bilan de mes études et me rappelant les observations de mes confrères qui furent élèves de Claude, j’ai la ferme conviction que tous et toutes le considéraient comme un grand amoureux de la musique et un pédagogue hors-pair. Pour moi, certainement le chaînon le plus important qui m’a permis de poursuivre ma carrière d’organiste sans jamais y perdre le feu sacré. Claude - je te remercie!